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Vivonne

Écrire la biographie d’un écrivain imaginaire… Voilà une idée bien séduisante pour un romancier. Mais gare ! La pente est savonneuse, qui mène aux gros clins d’œil complices d’un entre-soi pseudo-borgésien… Dans Vivonne, Jérôme Leroy se rit de cet écueil, peut-être parce que, comme l’un de ses personnages, il a dévoré jadis les livres de la collection J’ai lu science-fiction, « ceux avec les couvertures de Caza ou de Tibor Csernus », et conservé la fraîcheur du jeune lecteur avide d’aventures et de sensations fortes. Vivonne, c’est la rencontre pas du tout fortuite de John Brunner et de René-Guy Cadou sous la plume d’un écrivain polymorphe, nourri à toutes les mamelles de la littérature, une tentative superbement réussie de placer la poésie au centre du roman. C’est aussi un inépuisable kaléidoscope d’images disparates qui continuent de flotter dans l’esprit du lecteur bien après que le livre a été refermé : images de l’enfer qui nous attend peut-être au tournant de la prochaine décennie – un typhon rue de l’Odéon, des milices assoiffées de carnage – mais aussi simples et lumineuses visions qui portent en elles plusieurs mondes – deux enfants étendus front contre front dans une jardin de Normandie, un ancien résistant assis sur un banc non loin du lac de Vassivière, trois hypokhâgneux rêvant sous la verrière d’un lycée de Rouen. Et bien sûr, Adrien Vivonne lui-même, qui ne connaît « ni la surprise ni la peur », et dont la présence bienfaisante flotte au-dessus du livre tels ces cerfs-volants que les gamins promènent aux grands vents de la plage.
«On ne va pas s’arrêter de lire parce que c’est la fin du monde, si ?» demande Adrien. Non, bien sûr que non ! On a tout le temps de lire et de relire Vivonne.