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Bambois

Ils sont Jenny et Sils dans la Survivance, Sophie et Grieg dans Un chien à ma table, Pamina et Nils dans les Grands cerfs, et d’abord Mélu et Pagel dans Bambois. Tous se nourrissent de livres, qu’ils soient essais, poésie, romans et font les tournées des librairies avec une gourmandise qui dénote la plus grande addiction. Tous ont pour refuge une maison isolée quelque part au-dessus de Colmar, dans la forêt vosgienne.

 

Autant de noms, de visages, de motifs, pour ajouter des éléments à ce qui forme l’œuvre largement autobiographique de l’écrivaine et plasticienne Claudie Huntzinger qui en 1964 élit avec son compagnon une fermette des Vosges pour lieu de vie, de création, d’espérance : Bambois.

L’histoire est celle d’un choix, d’une volonté rageuse et joyeuse de ne pas entrer dans le jeu d’une société consumériste et sans attraits. Celle d’un renoncement et d’une conquête de la liberté « en dehors de la folie et de la méchanceté du monde », au prix d’un travail parfois si harassant qu’il ne laisse que la force de gagner le matelas sous les toits mais d’un labeur qui jamais n’exclut la joie pure de vivre, d’aimer, de courir se jeter dans le foin d’été pour un moment volé au travail des champs. « Vivre là-haut, ce n’est pas la poésie imaginaire des citadins, c’est une méchante bagarre où il faut mettre toute sa force » et parfois, quand la solitude vient frapper aux fenêtres et que s’annonce un hiver précoce vient la tentation d’être à Paris, de se faire un film, « avec ces foules qui vont et viennent, se chassent, se surpassent… »

Quand la bergerie prend des allures de jardin d’enfants après l’agnelage vient aussi l’inévitable pensée de l’abattoir à venir... En «  faisant téter un agneau en difficulté, on ne pouvait s’empêcher de penser qu’on s’acharnait à le faire vivre pour mieux le livrer aux bouchers ».

Mais que dire du bonheur de voir que le rêve s’est mué dans la réalité du présent »…

 

Sans doute y a-t-il plus de culot que d’inconscience chez Mélu et Pagel, encore est-ce celui de la vitalité de la jeunesse, de cet élan qui tient autant de la rage que de la tendresse, autant du refus d’une vie routinière et soumise que de la foi en de grandes espérances. Mais faut-il une part d’inconscience pour acheter avec leurs maigres sous une masure dans le massif vosgien, au-dessus de Colmar, où l’hiver vous rappelle pendant de longs mois sa puissance en vous serrant dans la glace et en vous ensevelissant sous la neige…

Les naissances s’invitent à la fête, les amis sont présents, les curieux aussi, ceux qui cherchent un havre, une réponse, une solution à leur vie trop petite. Ou trop bancale.

      De Bambois à Un chien à ma porte, la joie persiste, l’énergie et la rage, l’envie et l’amour demeurent, le ravissement d’exister. Mais au fil des textes c’est l’inconsolable chagrin de la perte de la biodiversité face à la puissance de l’émerveillement intact qui irradie désormais les textes de Claudie Hunzinger. 

 

 50 ans ont passé depuis la parution de Bambois et ce texte qui tient plus du journal à deux voix ou du récit fragmentaire que du roman est aujourd’hui hélas introuvable. Faisons le vœu qu’un éditeur s’en empare de nouveau et offre aux lecteurs d’aujourd’hui ce texte enthousiasmant et lumineux, qui pourrait, qui sait, redonner de l’allant et un grain de folie nécessaire aux jeunes générations.

Et pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Bambois et la famille Hunzinger, ce beau portrait dans les dernières nouvelles d’Alsace : https://tinyurl.com/2s4xnmkm. L’aventure de Bambois continue !