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Les nuées, Livre 1 Erémos

Comment parler du futur aujourd'hui sans tomber dans la caricature, la redite ou l'angoisse ? Difficile de trouver le bon angle ou le point de vue adéquat, et sans doute faut-il bien du talent, et maîtriser l'art du récit qui embarque le lecteur dès les premières lignes. Dans Les nuées, tout est troublant, mystérieux et intrigant à peine l'oeil posé sur la page. Il y a cette sublime couverture de Tom Haugomat, dont les aplats d'ocre, de rouille et de sable nous projettent déjà dans cet ailleurs futuriste accablé de chaleur, monde minéral et hostile où les rares humains semblent perdus dans un désert trop vaste. Un élément qui rappelle la technologie spatiale est échoué là, inutile vestige. Et l'histoire peut commencer…

Et voilà que les pages se tournent, que la magie opère. Celle qui nous a tenus éveillés avec ses thrillers aux enquêtes palpitantes 1 et fait voyager dans les grands espaces du Québec aux côtés des enfants autochtones 2 ou des derniers indiens des grandes plaines de l'Ouest 3 revient là où on ne l'attendait pas, avec un roman d'anticipation aussi poétique que bouleversant, nourri par ce que l'on devine être une légitime inquiétude quant à l'avenir de nos civilisations face au changement climatique et à ses conséquences.

Mais là où certains jouent plutôt la carte de l'anxiété et de la noirceur, Nathalie Bernard croit et nous fait espérer en l'amour, sans angélisme et sans naïveté, n'épargnant pas à ses personnages les pires épreuves que l'on puisse traverser en une vie. Ils vibrent d'émotions parfois contraires, animés par une pulsion de vie salvatrice, mais n'en sont pas moins confrontés aux grandes questions intrinsèquement liées à la condition humaine : la liberté, la justice, la quête de vérité, le deuil, l'amour… Les deux héroïnes, Lisbeth et Lucie, que plusieurs siècles séparent, portent des valeurs communes et chères à l'autrice qui a souvent confronté ses personnages à la question de la survie et du dépassement de soi.

L'une des grandes réussites de ce premier tome (doit-on dire « hélas » ou s'en réjouir car l'attente est difficile mais la joie des retrouvailles sera aussi grande que l'impatience qui la précède !) est de croire en l'intelligence du lecteur. L'univers futuriste y est décrit avec un lexique qui prend peu à peu son sens, sans que l'autrice ne vienne l'expliciter autrement que par le contexte, le récit est habilement elliptique, les chapitres brefs et très rythmés et l'entrecroisement des deux voix féminines ne permet pas le moindre relâchement de l'intrigue. Les fils se tissent, rapprochant peu à peu l'univers de Lisbeth et celui de Lucie, l'astronaute dont on lit des bribes de journal de bord. le tissage est délicat, révélateur du talent de Nathalie Bernard pour piloter son lecteur dans les méandres de sa narration avec beaucoup de subtilité.

Coup de chapeau et vifs remerciements à Thierry Magnier pour avoir su réaliser la quatrième de couverture parfaite qui permet au lecteur de vivre au bout d'une cinquantaine de pages un choc totalement inattendu et de savourer au mieux un passage des plus bouleversants !