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Des livres compagnons

A combien d’auteurs sommes-nous résolument fidèles, combien sont-ils ceux que l’on retrouve comme l’on retrouverait un fidèle ami souvent présent dans la pensée mais que l’on n’a pas vu depuis longtemps ? Depuis la lecture de Radeau, de La nuit tombée, du Héron de Guernica, d’Une forêt d’arbres creux, Antoine Choplin est de ceux-là, de ceux dont on reconnaît immédiatement la voix, les intonations particulières et que l’on retrouve tournant autour de ses mêmes questionnements : le regard de l’artiste sur le réel, la place de l’art dans nos vies, l’attention à ces choses de rien, ces détails infimes dont il révèle toute l’épaisseur. Comment travailler à la « représentation de la réalité, sensible et nue » ? Cette question court dans les romans d’Antoine Choplin et revient avec force dans Alberto, nouvelle d’une trentaine de pages publiée pour les 20 ans de La fosse aux ours. Comment un artiste (le jeune Giacometti), peut-il tout en observant un vieil homme au plus près sur son lit de mort, ne pas être capable de saisir par son trait l’instant  « du plus grand des basculements  »?

Avec Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar, Antoine Choplin dessine un nouveau portrait d’anti-héros, de ces gens ordinaires qu’il excelle à précipiter malgré eux dans la Grande Histoire, mêlant fiction et réalité. Aux côtés du jeune dramaturge Vaclav Havel rencontré lors d’une fête de village, Tomas, simple garde barrière, s’implique naturellement dans la dissidence, guidé par l’amitié et le sentiment que « chacun(…), même s’il est sans pouvoir, a le pouvoir de changer le monde ».

J'ai la conviction que la culture peut être un levier. Comme un outil de savoir et de plus grande conscience sur le monde.

L’engagement se fait à l’épreuve de la peur, des lâchetés ordinaires, des trahisons et de la répression mais galvanisé par le sentiment d’agir pour le bien de tous, d’être du côté des justes. Le chemin est éclairé par la pensée de Vaclav Havel, magnifique révélateur comme on le dirait en photographie de la sensibilité artistique du jeune Tomas qui trouve en sa fréquentation le moyen d’exprimer sa propre perception du monde.

Vierge de tout verni culturel, Tomas (inspiré par le photographe Bohdan Holomicek, proche de Vaclav Havel) porte un regard d’une sensibilité profonde sur le monde, s’intéressant aux arbres, fasciné par les dessins tracés sur les écorces de ceux qui bordent la voie ferrée où il travaille. Ses photos témoignent de l’acuité de son regard et témoigneront bientôt de la vie du fur président de la République tchèque avant la Révolution de velours et cet homme simple, sans éducation mais doté d’une intuition aiguisée autant que d’une grande ouverture d’esprit va peu à peu oser mettre des mots sur ses sensations et oser l’écriture, travaillée en partie dans les lettres échangées avec Vaclav Havel pendant ses années de captivité.

 

Antoine Choplin excelle à montrer l’invisible, ce qui palpite, ce que l’on éprouve sans parfois pouvoir le nommer. Il est le peintre de l’indicible, de ce qui nous dépasse ou nous éblouit, ce qui nous questionne dans la nuit et nous donne à entendre les échos de l’Histoire par les voix des humbles, des sans grades, des invisibles, par une écriture extrême dépouillée, épurée, au grand pouvoir d’évocation.