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Manière noire

Howard Phillips Lovecraft l’affirme dans Épouvante et surnaturel en littérature : l’auteur du livre que vous vous apprêtez à lire est « doué d’un pouvoir presque diabolique de faire surgir l’horreur, par petites touches mesurées, du sein de la prosaïque vie quotidienne ». Voilà de quoi parer Montague Rhodes James d’une forme de gloire mineure, indirectement diffusée auprès des amateurs de fantastique par le prestige de Lovecraft.

 Il mérite bien mieux. Un siècle après leur rédaction, ses nouvelles n’ont pas pris une ride, protégées des soubresauts de la mode littéraire par un charme distillé savamment, dont le temps qui passe ne fait qu’embellir la patine. Elles génèrent aussi un étrange sentiment de « déjà vu » — non que l’art de James soit paresseux ou émaillé de stéréotypes, tout au contraire : sa science du récit est si parfaite, le puzzle du mystère si ajusté, les éléments narratifs si variés et si élégamment disposés dans un décor faussement rassurant, que le lecteur laisse échapper un « oui ! bien sûr ! » admiratif, comme s’il visitait pour la première fois un monument prestigieux dont il aurait beaucoup entendu parler. Montague Rhodes James, sous nos yeux, invente tout simplement la nouvelle fantastique du XXe siècle.

« Il y a des auteurs que l’on aimerait n’avoir jamais lu, disait Ruth Rendell, pour avoir le plaisir de les lire pour la première fois. Pour moi, Montague Rhodes James est un de ceux-là. » Si vous découvrez James aujourd’hui, frottez-vous les mains ! Sinon, rassurez-vous : ses contes horrifiques, sidérants d’intelligence, sont encore meilleurs à la deuxième lecture.